J'ai rencontré henry pour la première fois sur une petite route
du Limousin. Olivier nous avait invité pour ses cinquante ans et
les quatre-vingt de son père. Une fête de famille en somme.
Il descendait vers le petit moulin au creux du vallon, la veste
sur l'épaule, le regard pétillant et le sourire aux lèvres.
Nous l'invitâmes à se joindre à nous Il déclina notre proposition:
-Non merci! je préfère marcher seul ,deux kilomètres ne me font
pas peur, c'est même du plaisir.
Dans la grange où les tables étaient dressées pour la fête, nous
étions...très nombreux.
Depuis plusieurs générations, la famille avait parcourue le
monde, semant ça et là un peu d'humanité et le cousin d'Amérique,
la tante de Nouvelle Calédonie et le petit neveu du Canada étaient
venus répondant à l'appel de nos hôtes.
Autour d'une potée je fis la connaissance du père de notre
ami. Il nous raconta l'histoire de sa vie, l'histoire de ses
ancêtres, ses voyages, son bateau ses châteaux en Espagne.
Ce fut un an plus tard que nous reçûmes la lettre.
Henry allait mourir. Il s'était trop gorgé de soleil, de cette
lumière que l'on trouve là-bas, ailleurs. Sa peau ne voulait plus.
Pour ce nouvel anniversaire, Henry voulait une lettre, des lettres,
des lettres que lui enverraient tous les gens qui partageaient son
coin de Limousin l'année passée.
Cher Henry.
Je suppose que beaucoup de lettres commencent par: Cher Henry.
Il y a un an déjà (je suppose que beaucoup de lettres continueront ainsi), nous avons fait
connaissance. Il faut bien un début, je n'ai personnellement pas l'habitude d'écrire à des
gens que je ne connais pas.
Je tape sur mon PC, car je trouve ma "manuscription" épouvantable et pleine de
fôte d'orthografe (excuse-moi un classique du genre, je n'ai pas pu résister).
Bon c'est vrai je ne te connais pas, mais toi non plus tu ne me connais pas!
J'étais là l'année dernière, invité par ton fils Olivier pour fêter ses 50 ans.
Il m'a dit:
-ça tombe bien, par la même occasion nous allons fêter les 80 ans de papa!
Ainsi, nous nous sommes rencontrés. Tu nous as raconté tes voyages, Olivier les siens, vous
deux ceux de ton père et par leur présence, vos invités, les voyages de vos ancêtres.
Et bien, il ne me reste plus qu'à te raconter les miens!
Je suis né à Reims par un bel après-midi de Juin, puis emmené de suite dans la région
parisienne par mes deux aventuriers de parents.
De la Porte des Lilas au dixième arrondissement, du dixième au quinzième, puis Dijon,
Pontarlier, j'ai pas mal voyagé moi aussi. Je passe sous silence les régions lointaines
comme Perpignan et même une escapade en Allemagne pendant mon service militaire!
Je ne sais pas si, comme tout bon voyageur, papa avait une femme dans chaque port,
mais après avoir fait une poignée d'enfants pour occuper maman, il est parti! Un
voyage de trop, à Montfermeil cette fois.
Puis vinrent mes voyages personnels:
Tabacs, femmes et alcools (quoi que les femmes beaucoup moins, ces dernières ne
supportant pas la concurrence des deux autres).
J'ai fait ma poignée d'enfants à ma légitime et je suis parti.
La censure m'a formellement interdit de te raconter la suite. Jusqu'à...
Ben oui! l'homme est faillible! J'ai beaucoup failli en voulant être un homme.
Un jour, j'ai rencontré Véro. Elle arrivait de la Réunion, de l'Australie, des Philippines
et de pleins d'autres endroits qui font rêver les prolos, les français de la France d'en bas.
Moi j'arrivais de ce pays où l'homme est faillible. Elle m'a ouvert ses bras, son lit, son
coeur. Nous avons beaucoup voyagé tous les deux dans le silence de la nuit.
Elle m'a présenté à ses parents. Ils m'ont ouvert leurs bras et leur coeur (mais pas
leur lit).
Imagine henry. Un jour ils m'ont emmené dans leurs valises jusqu'aux Seychelles.
Dix jours sur un îlot avec des vrais cocotiers, des plages de sable blanc. Je crois que
j'ai pleuré des larmes bleues comme la mer du bout du monde. Et Véronique et moi
nus et seuls face à face et face à l'infini.
Un jour, Véro m'a présenté ses amis du bout du monde: Olivier et Stella, Henri Franchet,
Véronique et Jain-Jain et bien d'autres.
Olivier 50 ans, Henry 80 ans. Le fils et le père. Vous étiez beaux de la sagesse de ceux
dont les racines sortent du pot.
Tu as raconté quelques anecdotes à cette famille qui buvait à tes lèvres l'histoire de leurs
racines et j'ai bu avec eux.
Depuis je te porte dans mon coeur aux côtés des tiens, enfants et petits-enfants.
Cher Henry, permets que maintenant je t'appelle cher Henry.
C'était il y a un an dèjà.
PS: Et accessoirement: "Joyeux anniversaire!"
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Henry est mort entouré des siens l'année suivante à l'hôpital
des Diaconesses.
Je n'ai jamais présenté mes sincères condoléances à personne.
Il faut dire que jusqu'à maintenant, on ne mourait pas dans
mon entourage (ou alors très peu, juste pour la forme).
Qu'écrire à sa famille et à mes amis? Et puis...
Je ne sais pas faire tout simplement!
J'ai envoyé une lettre ouverte...
Dear Henry.
Comme tu peux le remarquer, mon anglais a remarquablement progressé
depuis ma dernière lettre, promis à la prochaine j'écrirai : "Cher Henry." en chinois.
J'ai appris ton départ pour un dernier voyage plus long que les précédents.
Il était peut-être moins difficile pour toi de partir de Paris, les longs courriers
ayant plus de mal à décoller derrière ton potager de La Courcelle.
Donc tu es parti. Olivier et Laurent nous avaient prévenus que tu préparais
tranquillement tes bagages. Je n'ai pas eu le temps, ou je n'ai pas pris le temps, ou je
n'ai pas eu le courage de t'écrire plus tôt (tu vois, heureusement que j'utilise mon
correcteur d'orthographe, j'ai failli écrire ça comme le chien à Mickey).
Tu vas me manquer Henry. Nous aurions pu faire plus ample connaissance.
Je suis désemparé Henry. Autant j'aurais aimé faire tes précédents voyages
avec toi, autant je regrette de n'avoir pu venir te faire mes adieux dans la salle
d'attente de "Diaconesses airport".
Enfin, ce n'est que partie remise, il paraît que là où tu es allé tout le monde y va.
Remarque, je ne suis pas pressé maintenant que je sais ça (serais-je un rien
faux cul en t'écrivant cela ?).
Je suis désemparé cher Henry. Je ne sais même pas comment on te fait parvenir
le courrier là où tu es.
Je pense, avec ta permission, que je vais envoyer cette lettre ouverte à Olivier,
Laurent, Jérôme et Gil,
peut-être sauront-ils, sûrement sauront-ils te joindre mieux que moi.
Adieu cher Henry.
Pour un petit peu d'humour posthume.
Pour un petit peu d'amour posthume.
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Vous trouverez Olivier et sa communauté familliale, leur généalogie,
d'autres réflexions sur Henry à l'adresse suivante:
http://www.pasteur.net
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